La villa Sandcrawler

Septembre 2017



Avant-propos :

- Aucune information ne sera donnée sur la localisation du site.
- Je ne souhaite pas faire d’échange de lieux.
- Ceci n'est pas un site de photographies mais de visites de lieux abandonnés.

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Il n'y a que de la forêt à perte de vue. Tout est silencieux, calme et sans vie humaine. Ça fait un plaisir fou de se sentir isolé comme cela. C'est d'ailleurs ce qui a poussé cette famille à vouloir faire construire ici une demeure totalement insolite.
Regardons cette photo d'archive aérienne qui témoigne du retranchement total de cette adresse :



Le lieu n'a pas bougé depuis et est resté dans cet état de végétalisation avancé.


C'est à partir du milieu des années 60 que cette habitation particulière sort de terre. Elle est le fruit de l'imagination d'une famille d'artistes qui souhaitait s'installer, comme nous pouvons le voir, en pleine nature. Ces collines boisées, vierges de toute installation humaine ont, parait-il, procuré à l'architecte une certaine émotion avant ses premières esquisses. On ne peut que le comprendre. Ne plus voir de voitures, de zones industrielles ou de panneaux publicitaires qui défigurent tout notre pays ne peut être qu'émouvant.

Avant l'édification de la bâtisse, la forêt est sur le point d'être inscrite à l'inventaire des sites naturels. L'instruction du permis de construire impose alors aux autorités compétentes en charge du secteur d'adresser un dossier avec des plans à l’administration de tutelle à Paris pour pouvoir obtenir l'autorisation de construction. Une commission d'experts donne un avis favorable au projet soutenu par l'intérêt culturel qu'il représente. Ce n'est pas tous les jours qu'une villa d'architecte arrive au beau milieu de nulle part et qui plus est, lorsque celle-ci propose aux visiteurs de pouvoir se rendre dans les ateliers du couple.

À cette époque, cet espace naturel n'était bien entendu pas desservi par les réseaux d'assainissement et d'adduction d'eau. L'installation a ainsi nécessité des équipements techniques pour une vie en totale autarcie et force est de constater qu'ils ont mis les petits plats dans les grands pour faire sortir cette œuvre de terre :

La forte déclivité de la pente naturelle comme l'isolement du chantier ont imposé à l'architecte d'adopter des choix constructifs pragmatiques et économiques mais également de vivre avec une citerne à eau et un groupe électrogène le temps de la construction. L'isolement se mérite. Bien que la première volonté du maître d’œuvre ait été de réaliser un édifice en pierres, l'éloignement entre le chantier et les carrières a eu raison de cette solution initiale. Elle laissera sa place à une enveloppe structurelle simple, en béton, à laquelle est associée une maçonnerie de parpaings. Le béton armé et les parpaings sont rehaussés d'un enduit clair, épais et lisse, que le temps a rapproché des nuances de gris jaunâtres de la roche du site, ainsi, il se fond totalement dans le paysage.

Le détail des garde-corps, une simple planche de bois disposée en couronnement des retraits entre volumes de maçonnerie, fait écho, selon les dires des anciens propriétaires, aux constructions rurales locales. Les toitures terrasses sont revêtues de grandes dalles de béton lisse, disposées en bandes perdues et qui accentuent l'échelle des espaces extérieurs agrémentés de cyprès. En dehors de cela, l'inspiration des travaux du Corbusier ne peuvent que sauter aux yeux. On a donc tous les ingrédients pour une visite de qualité.

C'est après un long et fastidieux trajet en voiture dans la pampa que je peux apercevoir les contour de cet édifice en contrebas. La route confirme que la construction a du être un véritable calvaire. Il ne va pas être évident de se garer discrètement, la voie étant minuscule et empruntée par des randonneurs, je serais suspect de me garer sur le bas côté. J'opte pour une solution radicale que je n'applique jamais : celle de me garer juste devant l'édifice car il n'y a pas vraiment d'autres solutions. Si jamais quelqu'un me remarque et me demande des comptes, je n'aurais qu'à dire le vérité : j'aime bien l'architecture du bâtiment, et même si je n'ai pas le droit d'être là, je ne fais de mal à personne à prendre des photos d'une villa inutilisée au milieu des bois.

Je descends donc un tout petit chemin de terre cabossé. Ma voiture souffre, mes pneus agonisent et mes amortisseurs sont sur le point de rendre l'âme et après avoir croisé deux panneaux "voie privée" et deux maisonnettes brûlées, je gare ma voiture discrètement dans une petite contre allée.



C'est tout bonnement magnifique tant c'est surréaliste de voir se dessiner une construction comme celle-ci dans ce paysage homérique. Un détail me trouble, j'entends une radio montée à un volume très fort. De plus, un petit panneau "zone surveillée, interdit au public" avec un numéro de téléphone est présent au niveau des quelques points d'accès. Merde, le lieu est gardé ou plus probablement, sécurisé électroniquement.
Je décide de faire le tour discrètement, accompagné par "Rire et Chansons" à un niveau au moins aussi élevé qu'un concert de Manowar.

Je regarde discrètement par quelques fenêtres. Le lieu est vide. Un manteau est posé sur une petite chaise. Je prends mon courage à deux mains et me décide à aller frapper à la porte pour me présenter et demande l'autorisation de faire quelques clichés et d'en savoir plus sur l'histoire du lieu. Pas de réponse. Il faut dire qu'avec un tel boucan qui émane de ce poste de radio il n'est pas étonnant de ne pas m'entendre.
Je me pose quelques instants dans ma voiture le temps de voir un peu plus sur internet ce que je peux trouver et voir si je rebrousse chemin. J'en profite pour commander un bouquin qui parle de cette construction sur priceminister. Je vous mets une vieille photo d'archive, on peut voir que le lieu n'a absolument pas changé :



Je tombe aussi sur quelques bloggeurs des villages alentours qui se désolent de l'abandon du lieu et de sa fermeture et du fait qu'une telle merveille soit cachée des yeux de tous.

Je suis à deux doigts de repartir puis, dans un éclair de fierté, je me motive pour finalement prendre quelques photos des contours de la maison ainsi que de sa terrasse (accessible sans trop de cabrioles) parce que tout autant que visiter des friches, c'est aussi me documenter sur des lieux (abandonnés ou non) qu m'intéresse.
Il semble tout droit sorti d'un film de science-fiction. J'adore.




Comme dans toutes les villas d'architecte, il faut un certain temps pour comprendre l'agencement du lieu, voici un petit plan de coupe, tiré des dessins originaux :


Il me fait vaguement penser au Sandcrawler de Star Wars. Je précise au passage que les mentions "accès" figurent sur le plan d'origine et ne sont que les portes d'entrées du bâtiment et en aucun cas un accès pour une visite illégale.



Le grand patio accueillait les visiteurs dans un jardin autour duquel se déploie le logement du couple d'artistes. Les espaces domestiques et professionnels s’enroulent autour de cette grande cour et leurs larges baies vitrées font pénétrer cette végétation dans leurs intérieurs. Le projet a été pensé de plain-pied, car le couple souhaitait s'affranchir de toute difficulté pour les déplacements de leurs œuvres. Au dessus de ce patio, j'ai une vue d'ensemble sur l'intérieur totalement vide mais également sur une table avec téléphone et le fameux poste de radio. Pas la peine de préciser que je me fais très discret.



La situation de l'édifice sur cette colline s'explique par une forme de repliement du monde artistique face à la nature. L'architecte va porter une attention particulière aux contraintes géographiques et climatiques que sont la pente, le soleil et le vent.
Dressés comme une muraille contre la pente, les volumes cubiques sont disposés dos au vent violent venant du nord. Seules de grandes meurtrières relient visuellement les différents espaces intérieurs au paysage. Cette disposition invite donc à capter la lumière par l'est et l'ouest.









Je trouve également que la façade ouest est dans un style totalement différent du reste.









Il en est de même pour la façade sud :




Je me demande si les projecteurs destinés à illuminer la villa sont encore actifs la nuit. Ils ont surtout l'air de servir de nid pour les insectes du coin.



Pour compléter un peu tout ça, voici le plan de l'ensemble :







Vendue dans les années 80, la propriété bascule dans le domaine public à l'occasion de la vente du bien immobilier par les héritiers du couple d'artistes. Les ateliers sont acquis par le ministère de la culture.

Début 2000, le lieu est remis en cause en raison de sa situation géographique totalement isolée. Il redevient ainsi une synthèse des arts à travers une symbiose avec le végétal, entre architecture et immersion dans le paysage qui reprend progressivement possession de la villa.

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